Attention, danger ! La simplicité n’est pas toujours la vérité
Face à des enjeux aussi complexes que la lutte contre les changements climatiques, la lutte contre la déforestation et la restauration des écosystèmes, il me semble raisonnable d’être sceptique, voir suspicieux, lorsque des solutions trop simplistes veulent nous faire croire qu’il est possible de résoudre les problèmes en un claquement de doigts, sans vraiment changer les choses.
C’est ce qu’il se passe depuis plusieurs mois dans les médias avec des articles titrés « Planter 1.200 milliards d’arbres pour sauver la planète du réchauffement climatique ». Et je vais tenter de vous expliquer en quoi « planter des arbres » ne nous sauvera pas des changements climatiques.
(1/25) Planter 1.200 milliards d’#arbres 🌳 peut-il vraiment sauver le #climat ?
Face aux enjeux et aux solutions trop simplistes, il est raisonnable d’être sceptique, voir suspicieux 🤔 Explications 👇
Un article de @jonathan_guyot à lire sur 👉 https://t.co/imJOlsjlsq pic.twitter.com/JhjkRtner7
— all4trees 🌳 (@ll4trees) July 9, 2019
Tout a commencé par des études scientifiques….
Surtout celle du chercheur Thomas Crowther, qui en 2015, grâce à ses recherches avait permis de comptabiliser le nombre d’arbres sur terre. Dans sa dernière étude, publiée dans la revue Yale School of Forestry & Environmental Studies, il annonce que planter 1.200 milliards d’arbres permettrait d’annuler au moins 10 ans d’émissions anthropiques.
Et depuis quelques jours (juillet 2019), une nouvelle vague de communication est lancée sur une nouvelle étude publiée dans la revue Science par le chercheur Jean-François Bastin (avec comme co-auteur Thomas Crowther et un chercheur du CIRAD). Cette nouvelle étude, un peu plus mesurée sur le résultat, annonce :
- qu’il est possible de reforester 0,9 milliard d’hectare de forêt sur Terre représentant une augmentation de 25% du couvert forestier mondial ;
- que cela représentera la plantation de 500 milliards d’arbres supplémentaires et plus de 200 gigatonnes de carbone absorbés à maturité, soit la capacité de réduire la concentration de carbone atmosphérique de 25 %.
Puis ça a fait le buzz dans les médias
Depuis la publication des ces études, de nombreux articles font l’éloge (ou plutôt le buzz !) de l’étude de Thomas Crowther et de Jean-François Bastin mentionnant qu’il suffirait de « planter 1.200 milliards d’arbres pour lutter contre le réchauffement climatique » ou encore que « planter des arbres serait la solution la plus efficace pour lutter contre le réchauffement climatique ».
Et je vous passe le commentaire de Jean-François Bastin qui finit une interview de RTBF par : « Donc voilà juste, si vous voulez avoir un impact, ben on peut donner juste 10 balles à ce type d’ONG (ndlr. des ONG de reforestation) et vous aurez un impact concret sur le climat. ».
Le problème en soit ne vient pas forcément des résultats de ces études, qui chiffrent et montrent clairement qu’il est urgent de restaurer les écosystèmes (et servent notre cause au final). Le problème vient des raccourcis qui en sont fait, repris dans de nombreux articles de différents médias. Car c’est FAUX ! La solution LA plus efficace pour lutter contre les changements climatique est de réduire nos émissions de CO2.
Sans compter qu’un article de The Guardian, démontre qu’à hauteur de 0,30 $USD par arbre, cela ne représente que 300 milliards de dollars. Pourtant, cela coûte beaucoup plus cher de planter un arbre. De manière général, si il y a eu déforestation, il est alors nécessaire de réduire en parallèle la déforestation en transformant les pratiques agricoles (responsable à 80 % de la déforestation), s’assurer que les arbres seront utiles aux communautés locales pour ne pas être coupés de nouveau dans 10 ans. Encore un raccourci beaucoup trop hasardeux qui aura des conséquences, notamment pour « les ONG a qui il faut filer 10 balles ».
Le vrai problème, et j’y viens plus loin, c’est que cela nous fait miroiter une fausse bonne solution (à bas coût) et que certains acteurs ont très bien compris comment s’en emparer pour leurs intérêts.
NON, planter des arbres n’est pas LA solution pour lutter contre les changements climatiques
La seule plantation d’arbres ne nous sauvera pas des changements climatiques. Il est nécessaire et urgent de :
- Réduire drastiquement nos émissions de CO2 (-75% d’ici 2050, le dernier rapport du GIEC est formel) ;
- Lutter contre la déforestation (10 à 15 millions d’hectares de forêts disparaissent chaque année, responsable de 12 à 20 % des émissions de CO2) ;
- Restaurer les écosystèmes par la plantation d’arbres.
Il est nécessaire et urgent de faire les 3 en même temps !
Priorité numéro 1 : réduire nos émissions issues des énergies fossiles
Jean-Pascal van Ypersele, chercheur ayant contribué à la rédaction du rapport du GIEC, ainsi que les chercheurs Simon Lewis et Marc Maslin (article en anglais à lire dans The Conversation), ont alerté sur les propos émanant de ces études, en rappelant que la priorité numéro 1 est de réduire nos émissions issues des énergies fossiles, et que la reforestation doit être vue comme une solution parmi d’autres.
Une récente étude publiée dans Nature, indique que pour rester sous la barre des 1,5°C de l’Accord de Paris, il est nécessaire de ne plus utiliser d’énergie fossile (charbon, gaz et pétrole) pour la production d’énergie et l’industrie. Pourtant, ce sont les acteurs les plus émetteurs (pétroliers, aviation…) qui aujourd’hui se jettent à corps perdu dans la plantation d’arbres et veulent devenir des acteurs de la reforestation (je vais y revenir plus loin).
I agree! It is good to stop deforestation and plant trees, but getting CO2 emissions from fossil fuel to (net) zero is the number one priority https://t.co/uKiPrJJLuD
— Prof. Jean-Pascal van Ypersele (@JPvanYpersele) July 5, 2019
Science Magazine have lost their critical faculties — sequestering 200 billion tonnes carbon into trees would not reduce atmospheric CO2 concentrations by 25%, that’s not how the global carbon cycle works. Its roughly half that reduction (due to land+ocean sink responses). https://t.co/ISJJJeWhut
— Simon Lewis (@SimonLLewis) July 5, 2019
Planter des arbres ne permet pas de réduire les émissions de CO2
Non, planter des arbres ne réduit pas les émissions de CO2 anthropiques. Les arbres n’ont pas décidé de faire tourner nos raffineries et faire voler nos avions à notre place. La reforestation permet seulement d’absorber et de stocker le CO2 (si les arbres ne sont pas coupés…). C’est que nous appelons dans le jargon du climat les « émissions négatives ».
Pour atteindre zéro émission carbone d’ici 2050 afin de stabiliser les changements climatiques en-dessous de 1,5°C de l’Accord de Paris, il est nécessaire d’avoir recours aux « émissions négatives » (partie en-dessous du 0 sur les graphiques des scénarios du GIEC un peu plus bas). Et c’est là que les forêts et la reforestation interviennent.
À la lecture des scénarios de l’IPCC (dont le numéro P1 qui permettrait de rester sous la barre des 1,5°C) la réduction drastique des émissions de CO2 issues des énergies fossiles et de l’industrie (partie grisée du graphique) est inévitable et doit s’accélérer. La partie rouge (AFOLU – Agriculture, Forestry and Other Land Use), représentant en partie les forêts, quand à elle, n’est pas dans la même mesure et ne pourra pas « compenser » les émissions actuelles.
Par contre, lutter contre la déforestation permet de réduire les émissions de CO2
Vous voulez une solution pour réduire nos émissions ? Luttons contre la déforestation, responsable de 12 à 20 % des émissions anthropiques. Dans ce cas là, si il n’y a plus de déforestation, il y a réduction des émissions. Et cela permet de conserver les forêts qui sont des puits de carbone naturels. Au final, si nous plantons des milliards d’arbres pour restaurer des millions d’hectares de forêts alors que chaque année 15 millions de forêts disparaissent, il y a comme un problème non résolu dans l’affaire.
Pourquoi ce genre d’article est dangereux ? L’arbre qui cache une forêt de greenwashing
Ces articles, voir ces études, servent la soupe aux entreprises qui ne veulent pas réduire leurs émissions et font du greenwashing. Ce sont des secteurs économiques entiers qui s’engouffrent dans la reforestation comme solution de lutte contre les changements climatiques. Finalement planter des arbres, ne serait-il pas une façon pour les entreprises de cacher l’enjeu de réduire la production et consommation d’énergies fossiles ? Bienvenu dans l’envers du décors.
À lire aussi | Planter des arbres pour mieux polluer ? – Libération
Le nouvel « or vert » des majors du pétrole
ENI, Shell, Total, même combat ! N’est-il pas quand même bizarre que 3 majors du pétrole s’intéressent désormais autant aux arbres ? Tous les 3, souhaitent neutraliser / compenser les émissions de CO2 de leurs activités en plantant des arbres. Par contre ils omettent complètement de comptabiliser les émissions de CO2 du carburant qu’ils vendent aux automobilistes, alors que cela représente la plus grande part de leurs émissions.
Allez, faisons un tour de leurs annonces, car ça vaut le détour.
► ENI veut planter 8 millions d’hectares de « forêts »
La compagnie pétrolière italienne ENI a annoncé vouloir planter des arbres sur huit millions d’hectares en Afrique. Son objectif : devenir « neutre en carbone » en plantant des arbres en Afrique du sud, Zimbabwe, Mozambique et au Ghana afin d’absorber 20 millions de tonnes par an de CO2 de l’atmosphère d’ici 2030. La grosse question est de savoir maintenant ce que seront ces 8 hectares de « forêts ». Des plantations mono-spécifiques ?
► Shell veut planter 5 millions d’arbres
Idem côté Shell. Ben van Beurden, le PDG de Shell propose de planter une forêt de la taille de l’Amazonie pour résoudre le problème des changements climatiques. Il argue que d’après le scénario du rapport de l’IPPC (Giec), pour rester sous la barre des 1,5 C°, la reforestation est essentielle. C’est certain, comme nous venons de le voir. Mais il omet la question de la réduction des émissions issues des énergies fossiles…
Allez, en bonus, voici une petite série de Tweets sponsorisés :
► Total, lance sa « business unit » dédiée à la reforestation
Et en France, nous ne sommes pas épargnés. Patrick Pouyanné, PDG de Total vient d’annoncer « la constitution d’une « business unit » pour contribuer à la reforestation dotée d’un budget de 100 millions de dollars ». Drôle de revirement, bien qu’au final, si nous considérons que le pétrole est issu de la sédimentation de matière organique, donc végétal, il peut y avoir une certaine cohérence… Nous sommes donc bien en mesure de nous questionner sur l’intérêt soudain des pétroliers pour les forêts qu’ils ont contribué à saccager. Et bien Total, l’un des plus gros contributeurs aux émissions de CO2 au monde, souhaite atteindre (« investir ») la « neutralité carbone ».
Dans le même temps, Total et sa raffinerie de la Mède vont transformer 450.000 tonnes d’huile de palme en agro-carburant, un non-sens climatique, vous ne trouvez pas ? Et il se permet même de proposer à Anne Rigail, la directrice générale d’Air France, d’approvisionner les avions « même s’il y a un peu d’huile de palme durable ». Pour ce qui est du secteur de l’aviation…
Une « taxe » arborée pour le kérosène
D’autres acteurs d’un autre secteur très émissif (qui passera de 3% à 15% d’émissions en 2050) ont décidé eux aussi de planter des arbres : l’aviation et par la même occasion, les tours opérateurs très dépendant de l’avion. Certains acteurs comme Voyageur du Monde sont conscients du problème et essayent donc de proposer des solutions pour résoudre une équation encore difficile. Cependant, comme le montre le dernier rapport de l’IPCC, nous sommes dans le même cas de figure que les pétroliers : il est nécessaire de réduire drastiquement les émissions, donc les vols, car l’absorption par la plantation d’arbres de résoudra pas les problèmes des changements climatiques.
Et de toute façon, le mécanisme est biaisé, du simple fait que la tonne que nous émettons bien inconfortablement installés (pour ceux qui voyagent en classe éco) dans le siège de la cabine de l’avion en l’espace de quelques heures, mettra des dizaines d’années pour être absorbés par les arbres. Aujourd’hui le réchauffement climatique est induit par les émissions d’il y a 20 ans. Un décalage temporel que nous ne pouvons plus nous permettre…
Même l’ONU s’est inquiété récemment sur la manière dont les gros pollueurs s’accaparent la compensation de carbone, et l’utilisent comme un moyen de passer inaperçu. Alors, oui c’est toujours mieux que rien de planter quelques arbres lorsque l’on prend un avion, mais en aucun cas, cela annule, compense nos émissions.
Oui, nous devons planter des arbres, mais…
Alors oui, planter des arbres est nécessaire et même urgent pour restaurer les écosystèmes, accompagner les populations les plus vulnérables dans leur adaptation aux changements climatiques, et même adapter nos villes en luttant contre les îlots de chaleur. Allons-y de bon coeur ! Plantons et préservons les forêts ! Plantons des arbres partout où il y a de la place, partout où les arbres peuvent apporter leurs bénéfices à l’Humanité, au vivant et non-vivant. Les arbres et les forêts sont essentiels à la vie.
Mais arrêtons de dire que « planter des arbres est LA solution pour lutter contre les changements climatiques ». Car penser que planter des arbres va nous permettre de lutter contre les changements climatiques est une fausse bonne solution.
Guide | Planter un arbre : découvrez et soutenez des projets à travers le monde – all4trees
Au final, tant mieux si Total est prêt à investir 100 millions de dollars et si l’ensemble de ces acteurs sont (enfin) prêts à financer en masse la restauration des écosystèmes (et la lutte contre la déforestation au passage). La communauté all4trees rassemble des ONG et acteurs de la reforestation et lutte contre la déforestation, qui ont bien besoin de financement pour développer leurs projets de reforestation et d’agroforesterie à travers le monde.
Découvrir des projets de reforestation et d’agroforesterie
Alors oui, réjouissons-nous qu’il y ait une grande prise de conscience sur l’importance de planter des arbres. Mais restons (très) vigilant. Le fait de planter des arbres ne doit pas devenir « une caution verte à prix cassé » qui permettrait à des entreprises de se dédouaner d’agir dans la réduction des émissions de CO2 et la lutte contre la déforestation.
Guide | Comment choisir une association de reforestation ? – all4trees
Au final, il est facile de comprendre, que planter des arbres nous semble une solution beaucoup plus facile, car il nous permet de croire que nous pouvons continuer à produire et consommer de la même façon destructrice pour le climat et les forêts, tout en se disant que « de toute façon les 1.200 milliards d’arbres sont là pour nous sauver », voir pire, nous donner bonne conscience.
benjamin
Bonjour.
Félicitations pour la qualité de vos articles
Je partage votre analyse et votre constat. Pouvez vous également faire un point sur les effets perverses des programmes de plantation monocultures (biodiversité, risque accrus face aux maladie, appauvrissement des sols ?)
Bonne journée
benjamin
all4trees
Bonjour Benjamin, vous avez tout à fait raison. C’est en effet un sujet qui a été remonté dans une étude publiée dans Nature (en 2019), qui a identifié que 45% des Green Pledges de « plantation d’arbres » sont en faite des monocultures et un constat partagé par l’une analyse de l’université de Yale sur le fait que les grandes annonces de reforestation ne vont pas permettre de recréer des forêts « naturelles », dont nous avons besoin. Et comme vous le soulignez, les monocultures d’arbres ont des impacts important sur les questions de biodiversité et d’appauvrissement des sols.
m
Je trouve que planter des arbres c’est cool, bien sur sa ne permet pas de régler tous les problèmes , par contre il me semble que cela peux avoir un impact réeellement positif sur le développement de l’écologie et d’une prise de conscience générale sur la nécessité de sauver l’espèce humaine.
Alors pourquoi ne pas profiter du dimanche pour planter des arbres?
Je suis volontaire pour aider, pas vous?
all4trees
En effet, planter des arbres pour restaurer des écosystèmes (qui ont été précédemment dégradés par les activités humaines…) est nécessaire et à de réels impacts positifs, à la fois environnementaux, sociaux et économiques.
Ils existent en effet de nombreux chantiers participatifs qui permettent de planter des arbres, c’est l’occasion de mettre la main à la pâte 🙂 Vous pouvez aussi découvrir des initiatives à travers le monde sur notre plateforme de projets de reforestation et agroforesterie, développées par les porteurs de projets membres de la communauté all4trees.